15 mars 2017
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11:33
Ce matin, les douleurs ont fait sortir les larmes. J'étais en salle de rééducation et tenir ma jambe au dessus du sol s'est révélé douloureux, cela tirait sur l'os.
Alors j'ai serré les dents et j'ai continué l'exercice.
Et plus je continuais, plus la douleur sortait et s'effaçait mais plus les larmes ont coulé silencieusement.
Elles ont coulé pour toutes ces autres fois où mon corps se rappelait d'avoir eu mal, pour toutes ces fois où je n'ai pas pu.
Pour ces frustrations répétées, pour ces colères intimes contre ce corps qui ne pouvait plus faire ce qu'il faisait hier encore sans même y penser.
Pour ces peurs aussi de n'avoir pas la force, de ne pas y arriver.
Je pleurais d'impuissance.
Et plus les larmes coulaient et plus mon corps se réjouissait de sentir bouger les bras et l'autre jambe
Je ne pleurais pas sur moi, ni sur ce qui ne sera plus, juste pour sortir les émotions.
Comme de ces pleurs d'enfants qui emportent dans un torrent incoercible toutes les émotions et nettoient tout en soi
Et lorsque la dernière larme a coulé, j'ai vu dans le même silence, s'approcher un jeune homme noir avec du soleil dans les yeux.
Je n'ai pas vu son sourire
Non, je n'ai pas pu le voir parce que de sa bouche, il me tendait quelques mouchoirs tirés d'une boite.
Il n'avait plus aucun bras, sectionnés au ras de l'épaule.
Il n'avait plus de bras mais il avait des yeux et un cœur.
Il n'avait plus de bras et son quotidien devait être difficile : comment s'habiller ? Comment manger ? Comment aller aux toilettes ? Comment appeler à l'aide si on ne peut appuyer sur la sonnette ? Comment rester en contact avec ses proches sans téléphone ou internet ?
Que d'aide il devait demander et pourtant, c'est moi qu'il venait aider
Il n'y a pas eu besoin de mot, juste une caresse sur sa joue et un merci.
Et j'ai quand même encore un peu pleuré sur toute la souffrance que je pouvais voir autour de moi, pour tous ces combats silencieux et ces victoires anodines.
J'ai toujours su que j'avais de la chance dans ce que chacun pourrait appeler mes malheurs
J'ai pleuré sur cette montagne de courages méconnus, sur l'importance d'exister encore, d'aider encore, de soutenir et d'espérer
Plus tôt, c'était un petit papy tenant à peine stable qui m'a poussée dans mon fauteuil
Plus tard, c'est un homme hémiplégique qui m'aide à pousser une chaise sur le chemin
Cette confraternité de souffrants me bouleverse
Alors oui, ce matin, j'ai pleuré pour toute cette humanité et cette authenticité qui reste debout et je n'ai pas honte de ces larmes
systemeb